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Le regard interrogé

Rencontrer l'individu

Comment aborder les personnes présentant une déformation ou une impossibilité physique? Voilà une question qui nous intéresse tous, professionnels de la santé, travailleurs du paramédical, familles, amis et quidam. Malgré tous les efforts, louables, accomplis depuis des années, la réalité montre les difficultés auxquelles il nous faut faire face lorsque nous sommes amenés à vivre en permanence avec une personne handicapée.

La question est d'autant plus importante à soulever que le malaise ressenti est aussi réel qu'ancien. De la "cour des miracles" à nos institutions spécialisées des temps modernes, la place de ces personnes s'est toujours trouvée à la marge. (1)

D'un point de vue psychanalytique, la vue de la personne stigmatisée réactive de vieilles angoisses : angoisse de castration et angoisse orale de séparation d'avec le sein maternel. Face à cela, nous refoulons pour nous défendre d'elles, c'est-à-dire que nous gardons tout cela bien enfoui dans cette partie de l'inconscient dont on ne veut rien savoir. Il est en effet facile de remarquer que, à l'encontre des nombreuses déclarations "conscientes" préconisant l'intégration des personnes handicapées, la réalité quotidienne nous donne de nombreux exemples de résistances "inconscientes". "Tel Odipe à la fois vénéré et craint, les personnes handicapées sont "un symbole vivant de l'échec, de la fragilité et de l'émasculation, un contrepoint de la normalité (2)".

La rencontre avec la personne handicapée c'est le sentiment premier de malaise, de gêne, de surprise, de trouble qui font qu'on ne sait comment se comporter. Si nous restons à ce point "interdits" c'est bien que d'habitude rencontrer l'autre c'est percevoir en lui, d'entrée de jeu, des signes qui sont autant d'informations sur son milieu, sa position sociale, son groupe d'appartenance ; ces premières informations nous permettant, par la suite, de catégoriser l'interlocuteur et, en conséquence, de préparer ou d'adapter son comportement. Une des difficultés avec le handicap visible est qu'il rend ces présélections quasi inopérantes ; au premier abord, nous ne voyons pas une personne dont l'apparence laisse présager quoi que ce soit, mais "un handicapé", inclassable. Le stigmate est ce qui est perçu de prime abord.

Cette perception aboutit à une classification asexuée. Comme dans les toilettes on peut lire "réservé aux handicapés" (3). Dans les relations nous cherchons la réassurance narcissique, l'identique, le même : celui qui sait nous renvoyer une image rassurante de nous-mêmes. Alors, ce "choc" dont nous venons de parler ne peut engendrer qu'un sentiment de gêne et de culpabilité : un fort besoin de "réparation". Attention à ce "besoin" qui mène vers la surprotection, le vouloir bien faire et qui revient toujours à "vouloir bien faire une place différente", "angélique" alors que, de un, tout le monde sait que les anges n'ont pas de sexe mais les personnes handicapées oui, et de deux, qu'une place différente c'est précisément ce qu'il faut à tout prix et tant que faire se peut éviter de "creuser".

Les codes

A cette difficulté première, ajoutons les attitudes "hors normes", hors codes de ces personnes "désarticulées" ; attitudes dont nous ne savons que faire. Le langage n'est pas que verbal, on le sait et le langage n'est jamais désincarné : le corps parle en même temps que nous et ponctue notre parole d'un langage qui lui est propre. Le corps invite, accompagne, séduit, montre ou démonte son désir. Le malaise ressenti face à une personne handicapée s'en trouve donc renforcé lorsque cette gestuelle est absente ou qu'elle n'entre pas dans les codes habituels. Le langage se trouvant pratiquement désincarné. Aussi avec des IMC (infirmes moteur cérébraux), la compréhension est facilitée si l'on ne fixe que la bouche ou le visage. Il en va de même avec le quadraplégique (paralysie totale des quatre membres).

Il faut savoir que la personne handicapée présente des besoins de réassurance narcissique qui lui fait cruellement défaut. Comme tout individu, il a besoin de se savoir en sécurité dans son corps, besoin d'en tirer du plaisir, des satisfactions, besoin d'être reconnu et aimé pour ce qu'il est. Bien sûr il y a toutes ces angoisses, ces obstacles dont nous parlons plus haut et vous pourriez dire qu'avec un étranger ne parlant pas la langue le problème ne devrait pas être moindre. Pourtant, un fait est là, nous nous trouvons plus désemparés pour communiquer avec une personne présentant des "parasites" corporels, qu'avec un étranger valide parlant une langue inconnue mais dans une corporéité assurée. Pourtant, ça ne devrait pas, ou plus, conscients de tout cela.

Le Groupe

Qu'en est-il alors du rapport au groupe pour un individu stigmatisé? La survenue d'un handicap est toujours suivie d'une exclusion -temporaire heureusement- des groupes dont la personne faisait partie (travail, club sportif, école). Véritable dépouillement de son identité ; en plus de sa perte d'identité corporelle, son identité groupale s'évapore aussi. "L'individu se sent incomplet quand il est seul"(4) et le recours au groupe est indispensable, vital. L'identification est donc vitale. Les plus accessibles étant celles qu'offrent les groupes de "semblables", à savoir les associations de personnes handicapées et les institutions spécialisées. Contact et identification sont des étapes indispensables à la réhabilitation de l'infirme qui doit pouvoir se sentir solidaire, reconnu, de se projeter et de se re-connaître. Indispensable, vital donc au franchissement des premières douleurs post-accident de vie.

Pour ce qui est des groupes de valides, plus les liants psychiques d'un groupe concernant l'image de soi et l'image du corps, plus une performance porteuse d'un stigmate corporel visible a des difficultés d'intégration. Il en va ainsi de beaucoup de groupes utilisant une tenue spécifique (armée, groupes divers à uniformes) où l'uniforme (l'image de soi) et l'homogénéité physique (l'image du corps) sont deux ciments importants.
En résumé : sont accessibles aux personnes handicapées, les groupes où ils peuvent partager, où ils se sentent en mesure de donner autant que de recevoir où ils "ne se font pas voir". Leurs sont accessibles les groupes où elles peuvent montrer et exprimer leur pouvoir d'action. Pour autant qu'ils aient assumé (élaborer diront les psy) leur propre castration, en l'occurrence leur réalité symbolique d'être (d'êtres) avec un handicap. Cette réalité-là peut se partager et, de la même manière qu'on ne donne jamais que ce qu'on a reçu, on ne reçoit jamais autant que ce que l'on a su, ou pu, donner.

(1) Simon J-L, Vivre après l'accident, Chronique sociale, Lyon, 1989.
(2) Revue Le généraliste, n° 756 du 13 août 1985.
(3) Jean-Luc Simon, in Handicaps, handicapés, ., p.222, ERES, Toulouse, 1992.
(4) Freud S, Psychologies des foules et analyse
du Moi, p.63

Tag(s) : #Divers, #Vie quotidienne
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